samedi 19 mai 2012

dissociation, piège à cons


Dissociation = piège à cons

Peut-être ce à quoi aura le plus servi la démission de Beauchamp, c'est de faire oublier l'application, absolument nouvelle au Québec sinon au monde, de dispositions antiterroristes à un mouvement social. Étrange moment qui passe en un flash : celui de cette image brouillée qui reste à ce jour la seule ''preuve" associée au dossier des "terroristes". D'autant plus qu'elle n'est preuve que du fait que ces quatre étudiant(e)s ont pris le métro de Montréal ce matin-là. Ils auraient incité à faire croire à des attentats terroristes. Incité qui ? Ces gens qui trottent paisiblement sur le quai, comme on le voit sur toutes les photos prises après l'événement ? Incité à croire les gens de la majorité silencieuse qui n'étaient pas là, qui croient encore que ces fumigènes étaient d'une quelconque manière dangereuse (les palpitations cardiaques devant "LCN en mode crise") ? Les images ont tourné, très rapidement. Comme la photo-finish de leur vie, leur épitaphe. Des noms sont sortis d'on ne sait où (ils disent des amis). Ensuite on va passer à autre chose, d'autres images. La face des leaders, qu'ils soient étudiants ou ministériels, parce que c'est bien plus facile de régler les choses à trois ou quatre.

Mais ces images restent à la mémoire, elles se sont imprimées partout. C'est peut-être la brutalité la plus horrible de cette opération que de griller Vanessa, François, Geneviève, et Roxanne, eux qui à vie porteront "terroriste" écrit sur leurs visages, pour tous les québécois. Eux qui sont censés être innocents jusqu'à preuve du contraire, on expose sur toutes les ondes leur nom, leur parcours, leur job, leur hobbys. On l'associe au mot terroriste. Il y a une preuve : la photo. Suffit de donner l'impression que c'est une preuve : l'afficher en continu sur toutes les chaînes. La bonne vieille technique où plus une chose est montrée, plus elle est vraie. Mais, à bien y regarder, sur ces images il n'y a ni engin fumigène, ni quoi que ce soit qui pourrait laisser croire qu'un tel engin serait sur le point d'être jeté. La bonne conscience s'offusquera : "mais, quand même, qu'est-ce qu'ils faisaient ces jeunes ensemble dans le métro, si tôt le matin?" Peut-être allaient-ils simplement à conférence de presse de la CLASSE, qui allait tout juste ?

Dans l'empressement médiatico-policier pour "rassurer" la population, on a tout simplement donné en pâture des jeunes militants de la grève à la vindicte haineuse. Pour preuve, le témoignage de la "jeune maman" qui ne "veut rien avoir à faire avec le mouvement étudiant" puisqu'elle est contre la grève, mais qui a eu la malchance de s'appeler Vanessa L'Écuyer, comme une des accusés, et qui a reçu en quelques heures des dizaines de messages haineux sur Facebook. "La pire chose qui m'est arrivée dans ma vie" dixit la jeune maman choquée (merci pour l'autre Vanessa, qui risque 10 ans de prisons sur la foi d'une vidéo de téléphone cellulaire).

Une stratégie claire se dessine derrière ses arrestations spectaculaires. Car comment mieux faire oublier à la population l'attitude terrible du gouvernement dans la grève actuelle? Comment effacer des mémoires le fait qu'un jeune homme a failli perdre la vie, que deux autres ont perdu des yeux, des dents? Tout simplement en s'emparant d'un acte de perturbation somme toute non dramatique, et en le montant, à l'aide des médias collaboratifs, en affaire terroriste. Rappelons que ce n'était pas la première fois depuis le début de la grève que le métro est perturbé, jamais cela n'avait causé un tel psychodrame. De plus, faut-il le rappeler, le blocage du métro est une conséquence autant de la présence de fumigènes que de la décision de la STM de fermer tout le réseau pendant presque 3 heures pour "gérer" l'évacuation de la fumée. Ce qui d'après un témoignage d'un retraité de la STM, n'était nullement nécessaire, et qui avait pris 80 secondes durant l'attentat au gaz lacrymogène du 4 septembre 2001. Faut-il croire que le protocole de sécurité du métro s'est dégradé depuis septembre 2001?
Nous n'avons vu en somme que ces trois photos bombardées en continu. Et lorsque les policiers affirment "devoir garder secrets" les autres éléments de preuve, c'est le plus souvent parce qu'ils n'en ont pas d'autres. Il leur faut les amasser. C'est précisément ce qu'ils obtiennent de ces arrestations : des interrogatoires au 100W et des mandats de perquisition. Mais ce qu'Ils y trouveront c'est le nerf même de la guerre de la CLASSE, celui de toutes les petites perturbations qui l'ont mis sur la mappe.

  • Enfin, il ne faut pas perdre de vue que cette action de perturbation s'inscrivait dans le contexte d'une grève qui se prolonge sans aperçu de gains, où le gouvernement se moque ouvertement des étudiantes depuis près de 3 mois, avec plusieurs centaines d'arrestations, des dizaines de blessés, une session foutue. Dans ce contexte, la perturbation du métro a n'a pas été vécue comme un attentat terroriste par les gens qui l'ont subie, tout au plus comme un emmerdement, ou une excuse pour être en retard au travail pour les plus chanceux. Beaucoup ont tout de suite compris qu'elle s'inscrivait dans la stratégie de l'augmentation de la pression, qu'elle n'était pas une attaque envers les gens mais un signe au gouvernement. Le blocage du métro pendant 3 heures aurait fait perdre à l'économie montréalaise l'équivalent d'une année d'augmentation de frais de scolarité, un indice d'à quel niveau s'affrontent maintenant les parties. C'est parce que cette action a été efficace que le gouvernement Charest s'acharne autant sur elle, c'est parce le coup a été réussi qu'il veut lui imposer une peine exemplaire.

La "dissociation de la CLASSE" est sortie très rapidement, comme un "témoignage de bonne foi" envers le gouvernement qui l'a sommé à fliquer son membership. De la part de la FECQ-FEUQ, on s'y attendait, à la limite aussi de la part de Québec Solidaire, depuis qu'ils ont entrepris leur rénovation d'image. Mais, venant du porte-parole de la CLASSE, cette dissociation (certes, pas une condamnation), qui respecte d'ailleurs à peine la position du congrès de la CLASSE sur la violence (il s'agit par définition de blocage matériel, pas de violence physique), la déclaration arrive comme un coup de massue. Au moment où ces personnes voient leur vie gâchée, leur nom sali, leurs visages étalés, la moindre des choses aurait été de recevoir du support de la part du syndicat auquel elles appartiennent. On était bien plus prompt à réclamer les blocages de pont ou de la SAQ… Est-ce par son ambition que le blocage du métro choque? Ou encore est-ce l'expression du recul de la CLASSE de combativité depuis que la ministre en enfin daigné les inviter aux négos? Alors même que dans des grèves menées par des grosses centrales syndicales, des actions bien musclées ont eu lieu (sabotage, destruction de chantier), ce qui n'a pas empêché les syndicats de les défendre et d'obtenir l'amnistie pour ses membres.

Que les syndicats acceptent que la législation anti-terroriste soit appliquée à des activités de grève, c'est d'accepter qu'ils ne sont plus un acteur de la vie politique mais un simple élément indésirable qu'il suffit d'appâter vers l'impuissance. Si on y regarde bien, la loi sur le terrorisme prévoit une dérogation contre les actes de perturbation (légaux ou non) commis dans le cadre d'une grève, du moment qu'ils ne visent pas à blesser ou tuer. La perturbation du métro entrant totalement dans cette catégorie, l'acte n'ayant même pas les capacités de blesser quiconque (comme le prouvent les photos de l'évènement, les fameuses "bombes" dégageaient très peu de fumée, et celle-ci n'est, contrairement aux gaz lacrymogènes utilisés par la police, nullement toxique. Ainsi, il apparaît clair aujourd'hui que si ce chef d'inculpation a été rajouté in extrémis (le lendemain des 2 autres chefs), c'est simplement pour pouvoir justifier de garder les 4 accusés en détention, chose qui aurait été rendue plus difficile avec de simples accusations de méfait.

Il n'est pas difficile de voir qu'au lieu d'appliquer la stratégie de l'augmentation de rapport de force, la CLASSE, influencée par les fédérations étudiantes, se plie au contraire de plus en aux exigences de passivité. Elle préfère laisser à eux-mêmes ceux et celles tombent sous le joug policier, laissant le soin aux médias de leur fabriquer un costume de "casseur" ou "terroriste". Nous n'avons pas d'autre choix que de constater que la CLASSE s'est condamnée à la défaite, en préférant des miettes à l'élargissement du rapport de force, sacrifiant au passage son aile radicale, la plus active depuis le début de la grève, au profit de la majorité silencieuse.
Nous demandons que la CLASSE :
  • Refuse que le mouvement social soit considéré comme une circonstance aggravante dans une affaire judiciaire.
  • Réclame la libération immédiate des quatre accusés, jusqu'à leurs procès, puisqu'il n'y a aucune raison de craindre qu'ils représentent un danger pour la population
  • Réclame l'abandon du chef d'inculpation pour "incitation à craindre des attaques terroristes", qui n'a aucune commune mesure avec les faits reprochés et n'est qu'un outil pour faire peur à la population, en stigmatisant les accusés, et de d'augmenter en longueur la peine.
  • Réclame le respect de la présomption d'innocence: arrêt de diffusion d'informations personnelles et tendancieuses aux médias par la police, arrêt des perquisitions sans mandat.
  • Que la CLASSE retire sa condamnation de l'action et affirme sa solidarité avec les accusés.
  • Que la CLASSE exige l'amnistie pour toutes les personnes arrêtés et inculpés pendant la grève.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire