En
pleine grève étudiante, Montréal (Québec) a vu l'entièreté de
son système de métro paralysé pendant près de 3h. Nous sommes le
10 mai, à l'heure de pointe matinale, lorsque trois canettes
fumigènes déposées judicieusement dans trois stations centrales
amènent les autorités à évacuer tous les usagers. S'en suivront
trois heures de "chaos" de la circulation, générant
plusieurs millions de dollars de pertes à l'économie de la ville.
En
après-midi, la police diffuse des images de prétendus suspects,
qu'aurait captés avec son téléphone une citoyen-flic, témoin de
comportements louches de la part de 4 jeunes dans la rame de métro.
Ces images seront reprises par tous les médias, et tourneront tout
au long avec appel à la délation. En seulement quelques heures, la
police rend publics quatre noms, qu'elle prétend avoir identifié
grâce à la dénonciation "d'amis" des suspects. Il
s'avèrera plus tard que l'un des noms révélés est en fait celui
d'une personne ne se trouvant absolument pas sur les photos, mais peu
importe, la police tient à montrer qu'elle a la situation bien en
main.
Le
lendemain, l'appartement de deux des suspects est perquisitionné
(apparemment sans mandat), pendant que les caméras de télévision
rediffusent les images des policiers quittant les lieux les bras
chargés de plusieurs cartons. Les médias s'en donnent également à
cœur joie de révéler ce qu'ils considèrent comme les parcours des
quatre suspects, bourré d'informations fausses. Suspects qui restent
introuvables, jusqu'à qu'ils décident, à minuit, sous la pression
médiatique, de se rendre d'eux-mêmes à la police. Il s'agit de
Roxanne, Geneviève, Vanessa et François -, des étudiants
grévistes.
L'affaire
continue de faire la Une de tous les journaux, alors qu'une équipe
de télévision pousse le sadisme jusqu'à aller filmer les
grands-parents en pleurs d'une des accusés. Les premiers chefs
d'accusations déposés sont ceux, prévisibles, de méfaits de plus
de 5000$ aggravés par la charge de complot, le tout passible de 10
ans de prison. Mais le lendemain, le procureur général décide
d'ajouter le chef "d'incitation à craindre le terrorisme",
faisant de facto basculer l'affaire dans les dispositions
antiterroristes et rajoutant 5 ans de plus à la peine encourue.
ऀRapidement,
plusieurs critiques se sont levés contre l'application d'une loi
disproportionnée, votée dans la foulée de la psychose sécuritaire
post-2001. Premièrement, parce que cette loi est tellement ambigüe
qu'elle pourrait s'appliquer à tout acte de perturbation, qu'il
mette ou non en danger la vie de qui que ce soit. De plus, la loi
canadienne sur le terrorisme prévoit une dérogation contre les
actes de perturbation (légaux ou non) commis dans le cadre d'une
grève, du moment qu'ils ne visent pas à blesser ou tuer. Ainsi, il
apparaît clair aujourd'hui que ce chef d'inculpation a été rajouté
in extrémis, afin de justifier de garder les 4 accusés en
détention avant leur procès, détention préventive qui aurait été
rendue plus difficile avec de simples accusations de méfait. De
plus, la charge envoie évidement un message répressif clair à
l'ensemble du mouvement, pour qui serait tenté de porter au-delà
des processions pacifistes le rapport de force.
Ce
sera la première fois que cette loi se verra utilisée au Québec.
Les spécialistes juridiques nous expliquent qu'elle aurait été
votée au départ pour punir les menaces d'attentats et les appels à
la bombe. C'est la raison pour laquelle ils s'opposent à son
application pour le cas présent, parce que le la loi n'était pas
prévue pour cela. Ce qu'ils oublient de mentionner, c'est que cette
loi est le prototype même des dispositions antiterroristes
actuelles, permettant de condamner à partir des intentions derrière
les actes, sans qu'aucun fait brut n'ait à être produit par
l'accusation. Même si personne ne s'est senti terrorisé par le
blocage du métro, l'accusation n'aura qu'à plaider que les accusés
avaient dans l'intention de produire de la crainte, puisque toute
action politique non passive vise, par définition, à troubler
l'ordre et la paix sociale.
Une
stratégie claire se dessine derrière ses arrestations
spectaculaires. Politiquement, il s'agit de mieux faire oublier à la
population l'attitude terrible du gouvernement dans la grève
actuelle. Comment effacer des mémoires le fait qu'un jeune homme a
failli perdre la vie, que deux autres ont perdu des yeux, des dents,
en plus du millier d'arrestations? Tout simplement en s'emparant d'un
acte de perturbation somme toute non dramatique, et en le montant, à
l'aide des médias collaboratifs, en affaire terroriste. Au moment
même où le gouvernement s'apprête à voter une loi spéciale pour
criminaliser les grévistes, la lumière des médias est braquée sur
les "groupuscules violents" qui prôneraient la violence,
"ne laissant d'autre choix" au pouvoir que de les mater par
l'état d'exception.
Au
niveau policier, ces arrestations permettent à la police de
consolider ses renseignements, en fouillant les domiciles, en
saisissant les téléphones et ordinateurs des suspects. Elle espère
évidement faire parler les accusés afin de trouver tous ceux qui
ont été impliqués dans l'action de blocage du métro. La première
étape de cette cartographie policière des radicaux du mouvement
étudiant a été d'associer les suspects au groupe Force Étudiante
Critique, sous le prétexte qu'une des suspectes en aurait fait
partie. Circonscrivant ainsi l'acte dans "la dérive d'un
groupuscule d'extrême-gauche", elle espère couper
l'appartenance de ce blocage à une radicalité dépassant largement
les membres de Force Étudiante Critique, qui n'est que la partie
visible de l'iceberg.
Enfin,
c'est peut-être au niveau du mouvement de grève que les dommages
peuvent à long terme se révéler les plus graves. En réactivant le
fétiche du terrorisme, la couverture médiatique a immédiatement
crée de la dissociation de la part de tous les partis politiques et
surtout, de la part du syndicat "de combat", la CLASSE,
auquel appartiennent les suspects. Cet abandon public, pour une
action qui s'inscrivait pourtant dans la stratégie de blocage de
l'économie prôné par la CLASSE, n'est qu'un signe de plus de
l'affaiblissement de cette organisation.
Les
quatre accusés restent détenus jusqu'à l'audience de libération
conditionnelle, le 23 mai 2012.
Depuis
le début de la grève, il y a eu environ mille arrestations,
plusieurs dizaines de blessés, des camarades en prison, d'autres
sont sous le joug de lourdes poursuites.
Les 3 filles ont été relâché le 19 mai. Cautions de 27 000$. Le garçon est toujours en dedans, à cause d'un couteau qu'il ne portait peut-être même pas sur lui.
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